France de 1180 à 1328 : les rois et le gouvernement royal

L’âge des cathédrales gothiques et de la théologie scolastique fut également un âge de splendeur pour la monarchie française. L’autorité royale fut grandement renforcée par le successeur de Louis VII , Philippe II (Auguste; régna 1180-1223), qui pouvait prétendre descendre de Charlemagne par sa mère. Philippe s’est révélé le plus habile des Capétiens à régner. Il était pratique et clairvoyant dans ses objectifs politiques; l’extension de son pouvoir territorial et l’amélioration des mécanismes lui permettant de gouverner un royaume élargi étaient ses politiques cohérentes. Ce n’est peut-être pas par hasard que les documents royaux ont commencé à faire référence au «roi de France» (rex franciae) au lieu d’utiliser la formule habituelle «roi des Francs» (rex francorum) dans l’année suivant l’accession de Philip au pouvoir.

Philippe Auguste

La réalisation remarquable de Philippe était de prendre le contrôle des Plantagenets de la plupart des domaines qu’ils occupaient en France. Intervenant dans les luttes entre Henri II d’Angleterre et ses fils, Philippe obtint des concessions préliminaires en 1187 et 1189. Il acquit des terres stratégiques aux frontières normandes à la suite des guerres avec les fils d’Henry, le roi Richard et le roi John (1196 et 1200). Et, quand, en 1202, John refusa de répondre à une convocation devant la cour vassalique de son seigneur, Philippe Auguste confisqua ses fiefs. La Normandie tomba aux mains des Capétiens en 1204. Les Maine, Anjou et Touraine tombèrent rapidement (1204–06), ne laissant que l’Aquitaine et quelques domaines périphériques à la possession contestée de l’Angleterre. Par le Trêve de Chinon (18 septembre 1214), Jean reconnaît les conquêtes de Philippe Auguste et renonce à la suzeraineté de La Bretagne, bien que la soumission complète du Poitou et de la Saintonge allait prendre trop du temps.

Les autres acquisitions de territoire de Philippe, bien que moins spectaculaires, n’étaient pas moins importantes pour la consolidation du royaume. Au nord, il plaça l’autorité royale à la frontière avec la Flandre. Artois, qui passa sous sa responsabilité en tant que dot avec sa première épouse, fut entièrement sécurisé en 1212. Vermandois et Valois (1213) et les comtés de Beaumont-sur-Oise et de Clermont-en-Beauvais furent annexés au cours de ses dernières années. À la limite sud de l’Île-de-France, Philippe compléta ses possessions antérieures dans le Gâtinais et le Berry. Beaucoup d’Auvergne , dont Henri II avait cédé la suzeraineté en 1189, passa sous contrôle royal en 1214, tandis que dans le sud, plus lointain, Philippe étendit son influence en s’emparant de seigneurie sur Tournon, Cahors , Gourdon et Montlaur dans le Vivarais. À la fin du règne, seules la Bretagne, les Flandres, la Champagne , la Bourgogne et Toulouse , parmi les principautés plus tard annexées, se trouvaient en dehors du domaine royal. À la fin du règne de Philippe, l’inquiétude grandissante suscitée par la position hérétique des Albigeois a ouvert la voie à la croisade des Albigeois et à la conquête ultérieure des terres du sud.

L’expansion territoriale ayant été accomplie par les moyens traditionnels – dynastique, féodal et militaire -, l’administration curiale n’a guère changé sur le plan extérieur. Les agents de la maison tels que le majordome et le constable ont continué à fonctionner comme par le passé. Mais Philippe Auguste était encore plus méfiant à l’égard de la sénéchaussée et de la chancellerie que son père; il a laissé les deux postes vacants au début de son règne, confiant leurs opérations à des moindres nobles ou à des clercs de leur entourage. Bien que leur activité soit obscure, certains de ces hommes commençaient à se spécialiser dans la justice ou les finances. La curie en tant que telle restait toutefois indifférenciée. De manière caractéristique, le comité des régents, nommé en 1190 pour tenir trois tribunaux par an en l’absence du roi à la Croisade, devait s’occuper de la justice et de l’administration du royaume à cette occasion. Les prélats et les nobles de la curie ont également servi de conseillers; des conseils élargis se réunissaient, à la convocation du roi, lors de festivals ou lorsque de grandes questions politiques ou militaires étaient envisagées.

Philippe Auguste a agi avec vigueur pour améliorer l’efficacité de sa seigneurie. Il était en effet pratiquement le fondateur de l’administration royale en France. Sa chancellerie a commencé à tenir de meilleurs registres des activités royales. Les documents ont été copiés dans des registres avant d’être envoyés et des listes d’églises, de vassaux et de villes ont été dressées pour informer le roi de ses droits militaires et fiscaux. Ces listes remplacent celles perdues sur le champ de bataille de Fréteval (1194), une catastrophe qui aurait pu hâter l’adoption d’une nouvelle forme de comptabilité fiscale. On peut tirer cette conclusion car il est peu probable que les Capétiens aient eu la difficulté auparavant d’enregistrer les soldes de revenus et de dépenses de la manière révélée pour la première fois par un bilan de l’année 1202. Son audit central était lié à d’autres efforts visant à améliorer le contrôle des domaines. dominé directement par le roi. Dès le début de son règne, Philip a nommé des membres de son tribunal pour tenir des sessions locales périodiques, percevoir des revenus extraordinaires, diriger des contingents militaires et superviser les prévôts. Les nouveaux officiers, appelés les huissiers de justice ( baillis ) n’avaient à l’origine pas de circonscription déterminée (ils ressemblaient aux commissaires de circonscription du gouvernement angevin, dont le bureau a peut-être servi de modèle à l’institution capétienne). Dès le début, les huissiers de justice ont été payés des salaires; ils étaient plus fiables que les prévôts qui, à la fin du 12ème siècle, exploitaient généralement les revenus. Dans les terres nouvellement acquises de l’ouest et du sud, Philippe et ses successeurs ont institué des sénéchaux, des fonctionnaires semblables aux huissiers de justice, mais dotés d’une compétence territoriale reconnue dès le départ.

La politique de Philippe Auguste envers ses domaines conquis était judicieuse. Il a conservé les coutumes et les institutions administratives profondément enracinées de provinces florissantes telles que l’Anjou et la Normandie; en effet, les procédures fiscales supérieures de la Normandie ont rapidement exercé une influence perceptible sur la comptabilité capétienne ailleurs. D’autre part, pour assurer le fonctionnement loyal des institutions provinciales, Philippe a nommé des hommes de son propre tribunal, originaires pour la plupart du temps d’Île-de-France. C’était un compromis qui devait bien fonctionner pour les générations à venir.

Le caractère de la domination de Philippe peut également être déduit de ses relations avec les principales classes de la population. Fils dévoué de l’église, sinon fidèle sans faille, il favorisa le haut clergé dans beaucoup de leurs intérêts. Il s’est opposé aux infidèles, aux hérétiques et aux blasphémateurs; il a soutenu les évêques de Laon, Beauvais, Sens et Le Puy (entre autres) dans leurs différends avec les citadins; et il a accordé et confirmé des chartes aux monastères et aux églises. Pourtant, il insistait davantage sur ses droits sur le clergé que ses prédécesseurs. Il exigeait des évêques et des abbés des professions de fidélité et de service militaire, il appelait des prélats à sa cour et cherchait à limiter la compétence des tribunaux ecclésiastiques. Il soutenait les politiques papales ou ne se soumettait à des directives papales que dans la mesure où celles-ci étaient compatibles avec ses intérêts temporels.

En ce qui concerne l’aristocratie laïque, Philippe Auguste a agi énergiquement en tant que suzerain et protecteur. En effet, aucun Capétien n’était plus pleinement le «monarque féodal». Sa guerre avec John résultait du refus de John de comparaître à la cour en tant que vassal du roi de France pour répondre de ses mauvais traitements à l’égard du comte de La Marche. Il considérait la Flandre et Toulouse ainsi que la Normandie comme des fiefs tenus par la couronne. Comme avec les vassaux ecclésiastiques, Philippe insiste pour que le service soit dû aux fiefs et il demande à ses vassaux de réserver leur fidélité pour lui seul. Il étendit son influence en concluant des traités (pariages ) avec des seigneurs mineurs, souvent distants; et, en confirmant les actes de nobles en nombre sans précédent, il recouvra la force de la garantie royale.

La politique vis-à-vis des populations rurales et urbaines moins nombreuses consistait à accroître leur loyauté et leur contribution à la couronne sans réduire sensiblement leur dépendance au roi et aux autres seigneurs. Philippe offrit sa protection aux villages exploités et, surtout durant ses premières années, confirma les «villes nouvelles» existantes, étendit leurs privilèges à d’autres villages et favorisa les communautés paysannes. Les citadins, notamment ceux des communes semi-autonomes, ont eu la confirmation de leur charte; et le roi créa de nouvelles communes. La plupart de ces derniers étaient situés à proximité stratégique des frontières nord du domaine royal élargi; Ce fait, ainsi que les obligations de service et de paiement spécifiées dans les chartes, suggèrent que les motivations militaires étaient primordiales dans ces fondations. Plus généralement, dans ces chartes, comme dans d’autres, le désir de gagner la fidélité politique d’une classe prospère. À Paris, Philippe Auguste a agi comme aucun autre seigneur local pour promouvoir l’intérêt civique, améliorer les conditions sanitaires, paver les rues et construire un nouveau mur. Les citoyens parisiens ont financé et administré ces projets; ils étaient associés à la surveillance fiscale du royaume lorsque le roi partait en croisade, mais ils ne furent pas favorisés par une charte communale.

Louis VIII

Le règne de Louis VIII (1223 – 26) avait une importance disproportionnée par rapport à sa brièveté. C’est lui (ce frêle mari de la formidable blanche de Castille et père des fils célèbres) qui a d’abord apporté le Languedoc sous la Couronne de France et qui a inauguré les appanages —  des concessions de terres patrimoniales aux membres de la famille royale ou des favoris royaux qui retournent à la Couronne si leurs détenteurs moururent sans héritiers— créant ainsi un condominium familial par lequel la France des générations ultérieures devait être gouvernée. La conquête du Languedoc, à la suite de la croisade albigeoise (contre les hérétiques dans le sud de la France) qui ne fut que tièdement soutenue par Philippe Auguste, ne fut achevée que dans les années 1240, mais les seneschalsies royales de Beaucaire et de Carcassonne fonctionnaient déjà lors du décès de Louis VIII.Et c’était en accord avec la volonté de ce souverain de 1225 que les grands apanages passèrent à ses fils plus jeunes à mesure qu’ils devenaient majeurs – Artois à Robert en 1237; Poitou, Saintonge et Auvergne à Alphonse en 1241; et Anjou et Maine à Charles en 1246.

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