Quand la France interdisait l’avortement et faisait avorter aux femmes noires sans leur consentement

En 1970, un scandale éclata à la Réunion: des milliers de femmes avaient été avortées et stérilisées, souvent sans leur consentement, avec le soutien des pouvoirs publics. Un essai glaçant revient sur ce crime d’Etat oublié.

En juin 1970, à Trois Bassins, un village de la Réunion, un médecin généraliste de la Croix-Rouge était appelé au chevet d’une fille de dix-sept ans tombée dans le coma. Il diagnostiqua une hémorragie «consécutive à un avortement et un curetage». L’avortement n’avait pas encore été légalisé par la loi française. Le médecin déposa une plainte contre X. La police judiciaire de Saint-Denis découvrit que la jeune fille avait été opérée dans une clinique orthopédique de la ville de Saint-Benoît, et qu’elle n’était pas un cas isolé: des milliers de femmes y avaient subi des avortements et des stérilisations, souvent sans consentement.

Ces femmes étaient noires, et pauvres. Dans la presse, les témoignages se multiplièrent. Citons celui d’une femme enceinte de trois mois, entrée dans cette même clinique pour une douleur au ventre, à laquelle on avait annoncé une opération de l’appendicite, et qui s’était rendue compte au réveil qu’on avait mis fin à sa grossesse et qu’on lui avait ligaturé les trompes. Certaines patientes de la clinique de Saint-Benoît étaient enceintes de six, sept, huit mois.

Bientôt, on évoqua le chiffre de 8000 avortements par an, pour 16.000 naissances annuelles sur toute l’île de la Réunion. Le chiffre est tout à fait crédible, lorsqu’on sait qu’un seul médecin de la clinique avait pratiqué un peu moins de 900 avortements pendant l’année 1969, soit trois par jour, et que le nombre de journées d’hospitalisation était mystérieusement passé de 4000 en 1968 à 44.000 en 1969, dont la moitié pour des interventions en gynécologie.

Le scandale prit une tournure politico-financière. Les patientes étaient couvertes par l’Assistance médicale gratuite, et chaque avortement était facturé à la Sécurité sociale entre 500 et 1000 francs. Des centaines de millions de francs avaient ainsi été détournés par les médecins réunionnais, tous blancs ou presque, qui vivaient comme des nababs.

Surtout, le procès révéla que cette campagne d’avortements et de stérilisations sauvages était soutenue par le pouvoir. Le docteur Alain Ladjadj, arrêté alors qu’il tentait de fuir l’île, déclara: «La Sécurité sociale, le président du Conseil général m’ont donné le feu vert pour les stérilisations.» A un autre moment, il dit: «Tout le monde savait. Si j’ai agi ainsi, c’est parce que j’étais couvert.» Il ajouta: «L’avortement est la seule solution valable au problème démographique tragique dans ce département.»

Bibliobs

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