Résumé du « Testament » de Jean Meslier
Le testament sont des documents écrits laissés par le prêtre Jean Meslier à sa mort. Ils ont été découverts et publiés sous forme d’un livre par Voltaire.
Fin du mois de juin 1729. Jean Meslier, curé de la paroisse d’Étrépigny depuis quarante ans, laisse à sa mort une enveloppe contenant deux documents, le premier étant une introduction du second :
« Je ne crois plus devoir maintenant faire encore difficulté de dire la vérité. Je ne sais pas bien ce que vous en penserez, ni ce que vous en direz, non plus que ce que vous direz de moi, de m’avoir mis telle pensée en tête, et tel dessein dans l’esprit. Vous regarderez peut-être ce projet comme un trait de folie et de témérité en moi… »
L’histoire du christianisme est jalonnée de figures marquantes, mais peu ont eu un impact aussi cataclysmique que celui du Père Meslier. Sa célèbre lettre, remise à ses ouailles après sa mort, n’était pas simplement un témoignage de son propre parcours spirituel. Inévitablement, ce document a suscité des émotions puissantes parmi ceux qui l’ont découvert, provoquant un véritable émoi au sein de la paroisse qui avait connu la dévotion du prêtre pendant plus de quarante années. Pour ces fidèles, l’annonce selon laquelle leur pasteur voyait la religion comme « erreur, mensonge et imposture » a dû être un choc colossale. En invitant ouvertement ses confrères à abandonner le christianisme, le texte de Meslier a opéré une rupture sans précédent.
Ce manuscrit n’est pas seulement un simple pamphlet ; il représente un tournant crucial dans la pensée athée de son époque. Les idées qu’il présente ne sont pas dissimulées derrière des subterfuges ou des euphémismes, comme c’était souvent le cas à cette époque. Meslier s’avance sans détour en affirmant son athéisme et en attaquant frontalement les dogmes chrétiens. Ce faisant, il brise les conventions d’un monde où les critiques de la religion étaient souvent enveloppées de prudence, par crainte de représailles sociales et spirituelles. Son audace fait de lui non seulement un critique du christianisme, mais aussi un véritable prosélyte de la pensée rationaliste.
Au-delà de la simple contestation de la foi, l’œuvre de Meslier se transforme en une lutte active contre les croyances établies. Dans une époque où le savoir théologique était omniprésent et souvent irréfutable, la pensée de Meslier agit comme une étincelle de révolte. Il s’attaque non seulement aux doctrines, mais aussi à la manière dont la foi influence quotidiennement la vie des individus. Son écriture ne se contente pas de démontrer l’absurdité de certaines croyances ; elle appelle à une réforme radicale de la pensée humaine.
Les conséquences de son œuvre sont vastes. Si Meslier avait déjà été une figure controversée du clergé, son héritage se prolonge bien au-delà de sa mort, inspirant des générations de penseurs, d’écrivains et de révolutionnaires. Ses idées se sont frayées un chemin à travers les âges, nourrissant la philosophie des Lumières et contribuant à la sécularisation croissante de la société occidentale.
En fin de compte, la lettre du Père Meslier résonne comme un appel à la réflexion critique et au libre examen des idées. C’est une invitation à ne pas accepter aveuglément ce qui nous est enseigné, mais plutôt à questionner et à explorer la nature même de notre existence. En défiant le statu quo, Meslier a ouvert la voie à de nouvelles façons de penser, initiant une exploration intellectuelle qui n’a cessé de croître depuis lors. Dans le contexte actuel, où la religion et la spiritualité continuent de jouer un rôle significatif dans la vie des gens, le message de Meslier est plus pertinent que jamais : penser librement, c’est revendiquer sa propre foi ou son absence de foi dans un monde en constante évolution.
« Pesez bien les raisons qu’il y a de croire ou de ne pas croire, ce que votre religion vous enseigne, et vous oblige si absolument de croire. Je m’assure que si vous suivez bien les lumières naturelles de votre esprit, vous verrez au moins aussi bien, et aussi certainement que moi, que toutes les religions du monde ne sont que des inventions humaines, et que tout ce que votre religion vous enseigne, et vous oblige de croire, comme surnaturel et divin, n’est dans le fond qu’erreur, que mensonge, qu’illusion et imposture. »
Meslier est conscient du caractère paradoxal de sa vie : pourquoi attendre la mort pour déclarer son athéisme ? Il avoue sa peur, mais présente tout de même le caractère véridique de sa pensée athée. Il tient à ce que ses lecteurs tentent de le réfuter et, s’ils ne le peuvent, se rangent à son avis. S’ils craignent d’adopter cette position de leur vivant, ils devront le faire à leur mort :
« (intervenez) en faveur de la vérité même en faveur des peuples qui gémissent comme vous le voyez tous les jours, sous le joug insupportable de la tyrannie et des vaines superstitions. Et si vous n’osez non plus que moi vous déclarer ouvertement pendant votre vie contre tant de si détestables erreurs, et tant de si pernicieux abus qui règnent si puissamment dans le monde, vous devez au moins demeurer maintenant dans le silence et vous déclarer au moins à la fin de vos jours en faveur de la vérité. »
Meslier, comme les iconoclastes et contre les iconodules, voit dans les statues et images des églises des idoles. Il accuse les prêtres et exégètes d’interpréter la Bible à leur convenance, de maintenir leur emprise sur le peuple en utilisant la peur et de garder un silence complice face à l’abus des grands :
« […] vous adorez effectivement des faibles petites images de pâte et de farine, et vous honorez les images de bois et de plâtre, et les images d’Or et d’Argent. Vous vous amusez, Messieurs, à interpréter et à expliquer figurativement, allégoriquement et mystiquement des vaines écritures que vous appelez néanmoins saintes, et divines ; vous leur donnez tel sens que vous voulez ; vous leur faites dire tout ce que vous voulez par le moyen de ces beaux prétendus sens spirituels et allégoriques que vous leur forgez, et que vous affectez de leur donner, afin d’y trouver, et d’y faire trouver des prétendues vérités qui n’y sont point, et qui n’y furent jamais. Vous vous échauffez à discuter de vaines questions de grâce suffisante et efficace. Et en plus, vous vilipendez le pauvre peuple, vous le menacez de l’enfer éternel pour des peccadilles, et vous ne dites rien contre les voleries publiques, ni contre les injustices criantes de ceux qui gouvernent les peuples, qui les pillent, qui les foulent, qui les ruinent, qui les oppriment et qui sont la cause de tous les maux, et de toutes les misères qui les accablent. »
Dans ses réflexions, Meslier condamne ouvertement l’ignorance et la superstition. Il pointe du doigt le rôle de l’éducation dans l’émancipation des masses. Pour lui, la responsabilité des prêtres n’est pas de perpétuer les croyances ancrées dans l’idolâtrie ou la superstition, mais de former les esprits en leur inculquant la « science de la vérité » et des « bonnes mœurs ». Ces idées résonnent avec une vision progressiste de la société, où la vérité scientifique et la justice sociale sont au cœur des préoccupations humaines.
Meslier ne se contente pas de critiquer la religion ; il dénonce également la misère sociale et les injustices causées par l’autorité religieuse. Par ses écrits, il jette un regard acerbe sur les effets délétères de la religion sur l’individu et la société. Dans ses lettres, il s’engage à exposer l’hypocrisie et l’immoralité qui entourent souvent les institutions religieuses, remettant en question leur légitimité et leur rôle dans la vie des gens.
Un des aspects les plus fascinants de sa pensée est la manière dont il choisit de partager ses idées. Meslier propose un manuscrit volumineux, composé de trois manuscrits de trois cent soixante-six feuilles chacun, qui révèle la profondeur et l’ambition de son projet intellectuel. Ce travail monumental témoigne de son désir ardent de répondre aux besoins de son époque, en éclairant ses contemporains sur les vérités essentielles qui devraient guider leur existence.
C’est dans ce contexte que Meslier souligne l’importance d’une éducation éclairée. Pour lui, le savoir et les valeurs morales doivent prévaloir sur la croyance aveugle et les rites superstitieux. En plaçant l’humanisme au cœur de sa critique, il se démarque des libertins, dont l’athéisme était souvent une révolte contre les normes morales chrétiennes, sans offrir une alternative constructive. Meslier, en revanche, invite ses lecteurs à une réflexion profonde sur la condition humaine, leur offrant une vision d’un monde meilleur fondé sur des principes de justice et de vérité.
En opposition aux discours traditionnels de son époque, Meslier redéfinit l’athéisme comme un acte de foi en l’humanité elle-même, et non comme un rejet furieux de la religion. Son engagement pour une éducation fondée sur la connaissance et la morale nous rappelle que derrière chaque défi intellectuel, il y a une aspiration à un futur où la compréhension et la compassion remplacent l’obscurantisme.
L’héritage de Jean Meslier se construit sur les fondations d’un athéisme humaniste et critique, qui questionne les structures établies tout en ouvrant la voie à une éducation rationaliste. Ses idées continuent d’inspirer ceux qui cherchent à libérer la pensée humaine des contraintes de la superstition, invitant chacun à envisager un avenir où la vérité, la justice, et les valeurs morales priment sur les croyances dogmatiques.
« Mémoire des pensées et des sentiments de Jean Meslier, prêtre, curé d’Étrépigny et de Balaives, sur une partie des erreurs et des abus de la conduite et du gouvernement des hommes où l’on voit des démonstrations claires et évidentes de la vanité et de la fausseté de toutes les divinités et de toutes les religions du monde pour être adressé à ses paroissiens après sa mort, et pour leur servir de témoignage de vérité à eux, et à tous leurs semblables. »
Le testament de Meslier se divise en huit parties. Chacune vise à prouver la vanité et la fausseté des religions selon ce plan :
1. Elles ne sont que des inventions humaines.
2. La foi, croyance aveugle, est un principe d’erreurs, d’illusions et d’impostures.
3. Fausseté des « prétendues visions et révélations divines ».
4. « Vanité et fausseté des prétendues prophéties de l’Ancien Testament ».
5. Erreurs de la doctrine et de la morale de la religion chrétienne.
6. La religion chrétienne autorise les abus et la tyrannie des grands.
7. Fausseté de la « prétendue existence des dieux ».
8. Fausseté de l’idée de la spiritualité et de l’immortalité de l’âme.
Parmi les thèses principales de cet ouvrage volumineux, l’une tente de réfuter l’existence de Dieu. Le premier argument de Meslier est celui de l’absence : comment un Dieu se voulant aimé, adoré et servi peut-il demeurer si « discret » ? Ne devrait-il pas plutôt se présenter à nous comme une évidence certaine et irréfutable ?
« S’il y avait véritablement quelque divinité ou quelque être infiniment parfait, qui voulût se faire aimer, et se faire adorer des hommes, il serait de la raison et de la justice et même du devoir de ce prétendu être infiniment parfait, de se faire manifestement, ou du moins suffisamment connaître de tous ceux et celles dont il voudrait être aimé, adoré et servi. »
L’antique problème du mal est repris par Meslier afin de remettre en doute l’existence de Dieu : comment, mais surtout pourquoi, un être parfait créerait-il un monde imparfait où se côtoient maux, vices, maladies, violence, etc. ? Les merveilles de la nature ?
Meslier tente aussi de réfuter les arguments en faveur de l’existence de Dieu. D’abord, il soulève leur incapacité à prouver quoi que ce soit de façon certaine.
« Nous ne voyons, nous ne sentons, et nous ne connaissons certainement rien en nous qui ne soit matière. Ôtez nos yeux ! Que verrons-nous ? Rien. Ôtez nos oreilles ! Qu’entendrons-nous ? Rien. Ôtez nos mains ! que toucherons-nous ? Rien, si ce n’est fort improprement par les autres parties du corps. Ôtez notre tête et notre cerveau ! Que penserons-nous, que connaîtrons-nous ? Rien. »
Pour Meslier, nous ne sommes rien sans la matière et il est inutile de croire que quelque chose puisse exister hors d’elle. Pour lui, si la matière est éternelle, on ne peut justifier la création. Il s’oppose aux chrétiens qui soutiennent la création ex nihilo (à partir de rien) et pense que Dieu ne peut créer le temps si cette création s’insère elle-même dans le temps. Il ne voit pas comment on peut créer l’espace, ni où était Dieu avant de créer l’espace, le temps qu’il a mis à créer le temps lui-même etc. Pour Meslier, l’âme est matérielle et mortelle :
« […] toutes nos pensées, toutes nos connaissances, toutes nos perceptions, tous nos désirs et toutes nos volontés sont des modifications de notre âme. Il faut aussi reconnaître qu’elle est sujette à diverses altérations, qui sont des principes de corruption, et par conséquent qu’elle n’est point incorruptible, ni immortelle. »
Meslier soutient que l’expérience sensible est le seul critère valable pour former des idées justes, s’opposant ainsi à l’idée de « révélation ». Il commence par critiquer les textes bibliques, remettant en question leur authenticité et leur fidélité (évoquant les possibles altérations ou déformations au fil des siècles, ainsi que les divergences entre différents témoignages, y compris au sein des témoignages eux-mêmes, révélant ainsi la multiplicité de leurs auteurs). Il se demande sur quelles bases repose l’autorité attribuée à Mathieu, Marc, Luc et Jean, et pourquoi les écrits apocryphes ne font pas partie du canon biblique. Il qualifie les récits de l’Ancien et du Nouveau Testament d’« histoires de fous », soulignant que quiconque raconterait de telles histoires aujourd’hui serait pris pour un fou ou un illuminé. Il remet en cause la nécessité de la présence de nombreux carnages et sacrifices dans un texte sacré. L’hypothèse d’un sens allégorique du texte ne convainc pas Meslier :
« […] qui forgent comme ils veulent, ou qui ont forgé comme ils ont voulu, tous ces beaux prétendus sens spirituels, allégoriques et mystiques dont ils entretiennent et repaissent vainement l’ignorance des pauvres peuples. Ce n’est plus la parole de Dieu qu’ils nous proposent et qu’ils nous débitent sous ce sens-là ; mais ce sont seulement leurs propres pensées, leurs propres fantaisies, et les idées creuses de leurs fausses imaginations ; et ainsi, elles ne méritent pas qu’on y ait aucun égard, ni que l’on y fasse aucune attention. »
Pour lui, Paul aurait été le premier à recourir au sens allégorique, voyant que les promesses des textes ne se réalisaient pas, afin de préserver le mensonge chrétien :
« Nos christicoles regardent comme une ignorance, ou comme une grossièreté d’esprit, de vouloir prendre au pied de la lettre les susdites promesses et prophéties comme elles sont exprimées, et croient faire bien les subtils et les ingénieux interprètes des desseins et des volontés de leur dieu, de laisser le sens littéral et naturel des paroles, pour leur donner un sens qu’ils appellent mystique et spirituel et qu’ils nomment allégorique, anagogique et topologique. »
« Si on voulait de même interpréter allégoriquement et figurativement tous les discours, toutes les actions et toutes les aventures du fameux Don Quichotte de la Manche, on y trouverait si on voulait une sagesse toute surnaturelle et divine. »
Concernant l’alliance de Dieu avec les Juifs, il s’interroge :
« Puisque l’on ne voit maintenant, et que l’on n’a même jamais vu, aucune marque de cette prétendue alliance, et qu’au contraire on les voit manifestement, depuis beaucoup de siècles, exclus de la possession des terres et pays qu’ils prétendent leur avoir été promis et leur avoir été donnés de la part de Dieu pour en jouir à tout jamais. »
eslier rappelle les règles de la critique historique et nous invite à poser cette grille d’analyse sur les textes chrétiens :
« Pour qu’il y ait quelque certitude dans les récits qu’on se fait, il faudrait savoir :
1. Si ceux que l’on dit être les premiers auteurs de ces sortes de récits en sont véritablement auteurs ;
2. Si ces auteurs étaient des personnes de probité et dignes de foi ;
3. Si ceux qui rapportent ces prétendus miracles ont bien examiné toutes les circonstances des faits qu’ils rapportent ;
4. Si les livres ou les histoires anciennes qui rapportent ces faits n’ont pas été falsifiés et corrompus dans la suite du temps, comme quantité d’autres livres. »